Les nouveaux actifs agricoles: portraits, trajectoires, insertions.

Compte rendu de conférence

L’introduction a été faite par Cécile Bigot Dekeyzer (secrétaire générale du ministère de l’agriculture) et Bruno Hérault (chef du centre d’étude et de prospective – MASA)

Cinq candidats ont été sélectionnés pour faire des rapports de recherches publics, financés par le ministère de l’agriculture.

Ils nous ont présentés les résultats de leurs recherches, ci-bas vous en trouverez des résumés mais tout d’abord, voici un petit lexique qui vous permettra de vous approprier plus aisément le contenu de leurs études.

LEXIQUE

IMA: issu du milieu agricole

NIMA: non issu du milieu agricole

  1. Résultat de l’étude d’Agrinovo

AgriNovo – Portrait social des nouveaux agriculteurs (Caroline Mazaud, ESA Angers, LARESS)

On constate un nombre fleurissant de reconvertis qui s’orientent vers le métier d’agriculteur, et ces nouveaux convertis se dirigent souvent vers l’agriculture biologique. Cela est concomitant avec un grand départ d’agriculteurs à la retraite.

Un questionnaire a été présenté auprès d’agriculteurs installés en 2018 et en 2022 (3400 réponses exploitables sur 26000).

Situation au cours des 10 ans qui ont précédés leurs installations

  • Emploi non agricole avant leur installation : nombreux
  • Salarié agricole : nombreux
  • Formation agricole : nombreux

6 profils types des agriculteurs nouvellement installés

Héritiers bien préparés (34%): Ici, il y a une continuité générationnelle de l’agriculture (81% sont des hommes) et une immersion précoce dans le monde agricole du fait de la transmission familiale de l’exploitation.

Héritiers sans vocation : Ces derniers ne se destinaient pas a reprendre l’exploitation, puisque 92% de ces sondés exerçaient un autre métier avant de revenir vers l’agriculture. La composition de cette catégorie est majoritairement féminine (61%).

Classe populaire rurale (16%) : Cette catégorie n’est pas issue de familles d’exploitants agricoles, mais un lien existe grâce à leur ancrage rural (90% vivant dans une zone rurale avant leur installation)

Les reconvertis des classes moyenne : Cette catégorie est sans ancrage rural ou familial (82%) et ils accèdent aux terres grâce a des agents immobiliers privés. Il s’agit souvent d’anciens cadres à grande mobilité professionnelle (2 métiers exercés avant installation), et de 40 ans en moyenne.

Classe supérieure urbaine : 85% des individus de cette catégorie possède un niveau bac +5. Il est observé une bifurcation d’un point de vue résidentiel, scolaire et professionnel. Cette catégorie possède deux sous catégories : ceux qui ont eu des parents agriculteurs et ceux dont ce n’est pas le cas.

Les motivations à l’installation

Héritiers (bien préparés et sans vocation):

  • Reprise de l’exploitation familiale
  • Construire quelque chose et mieux gagner sa vie

Classe supérieure :

  • Avoir emploi du temps plus flexible

Le revenu

Dans le cadre d’une exploitation conventionnelle en sol et d’une exploitation paysanne l’investissement pour l’installation est d’environ 100 000 euros.

Pour une grosse exploitation ou une exploitation diversifiée nous sommes sur un investissement pour l’installation supérieur à 100 000 euros.

Pour une personne bien préparée ou provenant des classes supérieures, le revenu tiré est conséquent (bien payé).

A contrario, dans le cas des reconversions des personnes issues des classes moyennes on assiste à une très forte insatisfaction au niveau des revenus, à un haut taux de stress et à l’obligation de gérer de récurrents imprévus.

Il faut noter que plus de la moitié des nouveaux installés dans le domaine ont d’autres sources de revenus (revenu immobilier, salaire du conjoint etc.)

Il existe une opposition entre IMA et NIMA

Les NIMA riches s’installent plutôt bien grâce à leurs ressources et à l’absence de stress financier

Cependant, pour les NIMA issus de classes moyennes cela est plus compliqué, comme indiqué plus haut.

2 – Résultat de l’étude de RenouvAgri

RenouvAgri – Renouvellement des actifs et transformations des modèles agricoles (Daniele Inda, INRAE – CESAER)

Cette étude a été faite sur un panel de 44 personnes.

Elle se concentre essentiellement sur deux volets :

  • La trajectoire d’entrée en agriculture
  • Les systèmes déployés dans les exploitations

Le terrain d’enquête se situe sur le territoire de la Nièvre.

Sont essentiellement visés les domaines agricoles disposant de bovins et d’ovins allaitants.

Sont prises en compte de nombreuses installations de NIMA.

Les NIMA étudiés sont de catégories très hétérogènes (classes moyennes et supérieures)

4 groupes de trajectoire sont concernés par cette étude et sont répartis dans les catégories suivantes :

  1. Déclassement : personnes avec des origines sociales privilégiées qui par la force des évènements ont des périodes de chômage et sont confrontées à des problèmes de précarité.
  2. Changement de catégorie professionnelle : personnes avec des origines sociales variées, qui ont obtenu des diplômes de l’enseignement supérieur et qui ont eu des réussites professionnelles. Elles veulent cependant accéder à des métiers qui sont plus ajustés à des croyances qu’elles ont intériorisé.
  3. Mobilité ascendante ou horizontale : personnes avec des origines sociales modestes qui cherchent à évoluer socialement vers le haut ou personnes avec des origines sociales modestes qui souhaitent une expérience rurale.
  4. Vocation agricole précoce : Personnes dont les parent ont été, ou sont toujours, ouvriers ou artisans et qui ont tôt côtoyé le monde agricole. – Personnes qui ont de manière précoce été introduites au travail agricole. – Personnes avec une trajectoire de salariat court et qui s’installent tôt avec une moyenne d’âge d’installation à 27 ans contre 33 ans chez les autres groupes.

On observe une prédominance d’installations avec des systèmes atypiques car ils diffèrent de ceux déjà existants ; par exemple certaines exploitations sont spécialisées dans : l’élevage de volaille, le maraichage, la boulangerie, les plantes médicinales.

Déclassement : Cette catégorie tend à se spécialiser dans les plantes médicinales, les fruits rouges, ou toute culture qui adhère à une forte dimension environnementale. Le but est ici, de donner un sens à la reconversion professionnelle. Les pratiques observées sont à la limite du militantisme puisque les personnes issues de cette catégorie tendent à vouloir transformer les pratiques locales. Elles subissent naturellement une intégration difficile dans le milieu, puisqu’elles sont en désaccord idéologiques avec les agriculteurs traditionnels (exemple: désaccords sur l’utilisation de produits chimiques, sur l’entretien de haie, etc.)

Changement de catégorie professionnelle : Cette catégorie de personnes travaille dans le maraichage et l’élevage de bovin avec une forte dimension environnementale. Eux aussi veulent donner un fort sens à leur reconversion professionnelle, avec les même aspects de militantisme visant à transformer les pratiques locales dans leurs domaines d’activité agricole.

Ces deux catégories n’envisagent pas forcément de transmettre leurs activités à leurs descendants et sont généralement d’accord pour se reconvertir si le projet n’aboutit pas.

Mobilité ascendante ou horizontale : Généralement, cette catégorie penche vers l’élevage de volaille. Du fait de leurs origines populaires, ils disposent de moins de capital de départ, ce qui les contraint au secteur de la volaille, activité qui peut se faire sans un lourd capital financier initial.

Vocation agricole précoce : Dans cette catégorie, on assiste à une continuité du système dominant à l’échelle locale : élevage bovin et ovin. Du fait de leur connaissance du milieu du fait de leur vie en son sein, l’intégration se fait beaucoup plus facilement (syndicats, etc.)

3 – Résultats de l’étude « TRAJECTOIRES »

TRAJECTOIRES – Trajectoires d’installations et logiques des systèmes développés par les nouveaux actifs agricoles : le cas du Quercy (Adeline Bouvard, INP Purpan – UMR LISST)

Choix des terrains : Sud-ouest de la France – Quercy Rouergue et Quercy Blanc – entre 2022 et 2023

Ce sondage a été fait sur des personnes non issues du milieu agricole par ascendance directe et qui sont nouvellement installées.

L’enquête comprends les données de 32 installés: 15 femmes et 17 hommes

Les femmes ont une place prépondérante dans les niveaux de formation les plus importants.

La grande majorité proposent des modes d’exploitation différents avec un très faible apport d’intrants. On observe une démarche qui tend vers de la qualité bio et une commercialisation en circuit court.

Ce parcours est plus ardu pour les femmes, car elles sont constamment confrontées au défi de prouver leur légitimé professionnelle.

Leviers de pérennité de ces exploitations :

  • Acquisition des normes professionnelles existantes.
  • Pragmatisme économique et engagement social fort même lorsque les engagements ne rémunèrent pas autant qu’espéré.

4- Résultats de l’étude de « AGRITEMPO« 

AgriTempo – Réinventer le tempo de l’agriculture ? Normes temporelles et rapport au travail des nouveaux actifs agricoles (Simon Paye, Université de Lorraine – 2L2S)

Cette étude vise le temps de travail et le temps de vie des actifs agricoles.

Usages et représentation du temps des agriculteurs.

Est-ce que les NIMA redessinent l’usage du temps, à l’échelle de la journée, de la semaine et de l’année?

Ils ont procédé avec des questionnaires assez classiques qui intègrent un carnet journalier et un semainier par entretiens.

3 types d’exploitants interrogés:

  1. Exploitations de bovins à lait (nord de la France)
  2. Exploitations caprine (un peu partout)
  3. Les maraîchers (Bretagne et sud France)

Constat:

Il y a un inconfort a déclarer des durées de travail (ce qui est très lié à la notion d’activité salariale) ; il y a surtout une approche en termes de tâches et non pas une séquence d’horaire.

Il y a des « horaires exogènes », avec des horaires non professionnels qui viennent façonner la journée de travail. Pour 62% des agriculteurs soumis à l’enquête, la météo a une grosse influence sur leur rythme de travail.

Il y a un fort usage des agendas.

Pour les agriculteurs non issus du monde agricole, en ce qui concerne la durée hebdomadaire de temps de travail, on observe que les durées moyennes sont de 60 à 70h pour les éleveurs bovins et caprins. Les heures d’activité sont moins élevées pour les agriculteurs maraichers.

Autre constat, la présence d’animaux ajoute des contraintes liées à leurs soins et notamment à leur traite : cela va créer des astreintes, souvent biquotidiennes ( à environ 12 h d’intervalle ).

Entre NIMA et IMA ; le début de la journée est plus tard pour les NIMA.

Existe-t-il des « dispositions temporelles » pour les conditions citées ci-dessous, c’est-à-dire une manière d’occuper le temps pour les maraichers avec ou non des parents agriculteurs ?

  • Vacances
  • Activité extra professionnelle
  • Planification du travail en avance
  • Oter pour ne pas oublier
  • Horaire pour son travail
  • Suivre un calendrier de production

Il ressort qu’il n’y a pas de différences significatives à l’exception de :

  • La prise de vacances
  • Des activités extra agricole

Ces exceptions se retrouvent plus fréquemment chez les nouveaux installés qui non pas des parents issus du milieu agricole.

Toutefois le travail reste l’activité qui occupe la majorité de leur temps.

Les « éleveurs lait » sont ceux dont le temps de travail est le plus extensif en France.

La filière est plus déterminante dans la répartition du temps de travail que l’origine agricole.

Quand il n’y a pas de robot de traite, la traite à tendance à commencer et terminer les journées (frontière de travail) tandis qu’avec des robots de traite la question est plus épineuse.

Conclusion : Pas de révolution dans les temporalités agricoles avec l’arrivée de NIMA

Agritempo.hypotheses.org pour obtenir des données accessibles public (graphiques etc.)

5- Résultats de l’étude de « AGRIDINAMO« 

AgriDinamo – De « nouveaux » types d’actifs agricoles, pour quels projets entrepreneuriaux et quelles formes d’organisation productive ? (Geneviève NGyuen, INP Toulouse – UMR AGIR)

Titre « de « nouveaux » actifs agricoles, pour quels projets entrepreneuriaux et quelles organisations productives ? »

Deux échelles d’analyses :

  • Echelle française (sources principales : recensement agricole de 2010 et 2020)
  • Echelle territoriale : 6 ans donnée MSA du Languedoc et aussi enquête dans l’Hérault, le Gard et la Lozère)

Diversités des organisations productives

Il existe 12 types d’entreprises agricoles regroupées dans 3 grands ensembles

  1. Entreprises de petite taille, gérées par des chefs seuls, plutôt âgés qui mobilisent beaucoup de prestataires de service, exploitation très spécifique – nombre en diminution (10%)
  2. Entreprise de taille petite à moyenne, gérées par des chefs seuls mais qui ont un appui familial et ont recourt aux prestataires de service.
  3. Exploitation de grande à très grande taille, regroupent les 6 types en augmentation des dix dernières années, recours à la main d’œuvre salariée.

Les installés récents sont présents dans les trois types:

  • Il y a des héritiers, pluriactifs et qui gèrent un patrimoine préexistant.
  • Il y en a, qui développent une agriculture de loisir.

Que se passe-t-il dans les six ans qui suivent l’installation en 2018 (sondage sur 197 individus)?

  • 91% se sont installés sur une seule exploitation
  • 78% sont propriétaire à 100 %
  • 62% d’exploitants à titre principal
  • 38% de cotisants solidaires
  • 26% ont connu un arrêt d’activité

Entre NIMA et IMA ont observe une capacité différente à réaligner leur projet rêvé avec la structure finale créée au vu du contexte économique.

Ces NIMA ont des trajectoires souvent sinueuses (trajectoires professionnelles avec des entrées et des sorties, avec des reconversions externes pour aller dans d’autres secteurs, ou internes en restant dans le même domaine)

Le recours au salariat externe est également possible (permanent ou saisonnier)

Conclusion :

  • Les profils plus âgés sont souvent pluriactifs. Ils s’installent plus tardivement et généralement seuls.
  • Les profils plus jeunes s’installent seuls avec le salariat, ou en tant qu’associés dans une logique entrepreneuriale.
  • On assiste à une généralisation du recours au salariat et a l’externalisation, ce qui rend les entreprises plus fragiles car dépendantes d’une ressource rare sur le territoire.

Bilan des présentations avec Monsieur Gilles Laferté « grand témoin » – directeur de recherche en sociologie (Inrae)

Réflexion sur la littérature sociologique : l’institution agricole utilise des termes indigènes pour décrire les groupes agricoles : IMA et NIMA par exemple, et il y a un groupe qui se demande qui est ce qu’on va appeler « les autres » ( les NIMA en particulier, c’est à dire ceux qui ne proviennent pas du monde agricole et qui ne rentrent pas dans une lecture de classe agricole classique).

Il y a une tension accélérée par l’entrée des nouveaux entrants qui peuvent être plus dotés en capitaux culturels et économiques (mais aussi sur le plan moral avec les réflexions sur le bio etc.) que les anciens et qui ne sont pas forcement en bas de la pyramide agricole, ce qui diffèrent des structures par exemple démontrées par Marx par rapport aux groupes.

Monsieur Laferté propose une polarisation en groupes parmi les agriculteurs:

  • Une bourgeoisie agricole, notamment sur le plan économique
  • Une structure basse, proche des mondes populaires

On peut anticiper des conflits de légitimité entre les deux groupes.

On note également une idée de salarisation montante qui n’était pas aussi présente auparavant.

Sociologie des classes : Les NIMA ont une forte d’une inventivité entrepreneuriale, mais qui les cadre? On ne sait pas trop, mais on remarque que lorsque les choses ne sont pas assez structurées ils ont tendance à inventer et ceci devrait donc se développer.

Réinvention de la multi activité : seules les classes supérieures on le luxe de leur moralité car les finances sont garanties (conjoint toujours cadre).  

  • « Impact que peuvent avoir ces recherches en termes de politique publique » : Elles visent une incitation à une véritable diversification des politiques d’aides par les institutions qui accompagnent les personnes dans le domaine.
  • « La Démarche » : au niveau géographique il faudrait une meilleure spécialisation du problème social qui germe.  

Pour retrouver l’intégralité des interventions aller sur les site :

https://agriculture.gouv.fr/appel-projets-de-recherche-sur-les-nouveaux-actifs-agricoles-portraits-socio-demographiques

APITHY Séphora

Juriste spécialisée en droit de l’agriculture et des filières agroalimentaires

Auteure de l’ouvrage: « Des mots d’Agriculture et de Culture »


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Publié par sephoragro

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